HISSA ET LE SEPTIEME CONTINENT

INIKO

Il était évident qu'elle allait mourir ici.

- Hissa !

La voix était lointaine, comme toujours mais déterminée. Elle ne releva pas tout de suite, comme mue par son inconscient.

- Hissa, attention !

Cette fois, son inconscient engourdi perçu le danger car elle plongea en avant, afin d'éviter l'obstacle qui fonçait sur elle. Obstacle qu'elle ne parvenait pas à bien distinguer, flouté par la nébulosité du rêve.

Elle se réveillait invariablement à ce moment-là. Ce rêve la troublait depuis quelque temps mais ne l'affectait pas vraiment. Sa grand-mère Abrihet qu'elle appelait affectueusement Abri saurait sans doute le décrypter, quand elle se déciderait enfin à lui en parler.

***

D’aussi loin que la jeune Hissa du peuple des Niamuh se souvienne, elle n’avait connu que l’eau et le plastique. Ces deux bienfaiteurs, vénérés comme des Dieux sur sa terre prospère et mouvante.

La vie sur le septième continent était bien réglée. Le matin, comme tous les enfants des zones côtières de son pays flottant, elle allait récupérer les plastiques de toutes natures à la dérive de l’océan alentour pour consolider le sol de cette immense terre artificielle à la dérive. Les plus courageux plongeaient même pour récupérer les morceaux les plus improbables et les plus inaccessibles, libéraient par la même occasion les animaux marins enchevêtrés dans ces « filets » sans fin rejetés par la civilisation Edira presque éteinte.

La devise du peuple d’Hissa gravée sur chaque maison était simple :

« Exister c’est insister

Rejeter c’est s’appauvrir

Accueillir s’est s’enrichir

Inventer c’est progresser

Mélanger c’est grandir

Subir c’est mourir »

Cette devise, tout le monde devait l’apprendre dès son plus jeune âge, mais rares étaient ceux qui pouvaient dire d’où elle venait.

Hissa, qui appartenait à l’une des plus anciennes familles de son peuple, savait bien qu’un jour on lui raconterait l’épopée des siens, puisque telle était la coutume. A sa majorité, on lui livrerait l’héritage censé perpétuer la devise connue de tous. C’était le rôle des femmes.

Elle attendait avec impatience ce moment, celui où on lui apprendrait les secrets de ses ancêtres, ceux qui lui permettraient d'accéder aux secrets des femmes. Mais chaque fois qu'elle y pensait, elle était prise d'une angoisse sans fondement. Au-delà de cette vive inquiétude, liée à son origine, elle avait l'intuition, presque une certitude qu'elle ne saurait jamais vraiment qui elle était. Tout semblait si mystérieux. Alors, chaque fois qu'elle y songeait, elle essayait de diriger son esprit ailleurs, même si ses pensées avaient alors tout le loisir de s'installer jusqu'à saisir tout son corps.

Mais pour l’instant, il n’était pas temps d’y réfléchir et d'en parler, mieux valait économiser sa salive et son énergie sous la chaleur harassante car tous les plastiques devaient êtres collectés, pour que l’on puisse donner à manger aux vers dans les élevages de tous le continent.

Ces insectes représentaient la manne de toute une population. Découverts par hasard sur des monceaux de détritus accumulés dans les endroits les plus sales et reculés de la planète, ils avaient été observés par les plus pauvres, puis, progressivement utilisés grâce à leurs incroyables capacités d'adaptation à l'environnement. Eux seuls avaient la capacité de digérer le plastique et de créer avec leurs déjections le matériau qui permettait de fabriquer la « terre ferme » légère et flottante sur laquelle vivaient des millions de personnes. Non seulement ces sortes de « vers à terre » tissaient en quelque sorte un continent entier, mais leur prolifération était régulée car ils nourrissaient également la population en constituant la base alimentaire de tous. On les avait parqués dans d’immenses bacs, fabriqué en bois flottés. Tous les pastiques qui n’étaient pas récupérables ou transformables, car les Niamuh ne manquait ni d’imagination, ni d’ingéniosité pour trouver une deuxième vie et une utilité à tout ce que le monde ancien avait considéré comme déchets, leur étaient donnés en pâture. Des ingénieurs autodidactes se chargeaient ensuite de la récolte et de la transformation des déjections des vers en substrat pour agrandir le continent sans polluer la mer.

En fait le septième continent était né d’une digestion et de la récupération d’objets polluants dont l’océan se purifiait au fur et à mesure que les terres s’agrandissaient. Les éleveurs bâtisseurs qui habitaient ces lieux avaient enfin compris ce qui avait perdu le peuple Edira . Apprendre de ses erreurs et observer le vivant, pour s'en inspirer intelligemment, était enfin devenu une solution au lieu de rester une simple information.

Hissa et le septième continent

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